jeudi 4 avril 2013

LE RÔLE DES ÉTATS-UNIS DANS LES RÉVOLTES DE LA RUE ARABE : LE CAS DE L’ÉGYPTE

écrit par Ahmed Bensaada Mercredi, 23 Février 2011
C’est le mouvement du 6 avril qui a été le fer de lance de la protestation populaire égyptienne et le principal artisan de la chute de Hosni Moubarak. Constitué de jeunes de la classe moyenne, activistes, férus de technologies nouvelles, ce mouvement a, dès 2008, appuyé les revendications ouvrières.
La première collusion entre ce mouvement et le gouvernement américain a été divulguée par WikiLeaks. Il s’agit de 2 câbles (08CAIRO2371 et 10CAIRO99) datant respectivement de novembre 2008 et de janvier 2010 qui montrent clairement des relations étroites entre l’ambassade américaine du Caire et les activistes égyptiens.
La bloggeuse Israa Abdel Fattah, cofondatrice du mouvement du 6 avril, est nominativement mentionnée dans le second document comme faisant partie d’un groupe d’activistes ayant participé à un programme de formation organisé à Washington par Freedom House. Le programme, nommé « New Generation », a été financé par le département d’état et USAID et avait pour but de former des « réformateurs politiques et sociaux ».


La bloggeuse égyptienne Israa Abdel Fattah

Ces stages de formation d’activistes égyptiens aux États-Unis susceptibles « de représenter une troisième voie, modérée et pacifique » ne sont pas rares.
Condoleeza Rice (mai 2008) et Hillary Clinton (mai 2009) en ont rencontré, sous les auspices de Freedom House. Ces dissidents ont même eu des entretiens avec de hauts responsables de l’administration américaine.

Les activistes d’OTPOR, fort de leur expérience dans la déstabilisation des régimes autoritaires, ont fondé un centre pour la formation de révolutionnaires en herbe.
Cette institution, le CANVAS (Center for Applied Non Violent Action and Strategies), se trouve dans la capitale serbe et son directeur exécutif n’est autre que Srdja Popovic.
Un des documents qui circulent dans la toile et qui illustre la formation dispensée par ce centre est « La lutte non-violente en 50 points » qui s’inspire largement des thèses de Gene Sharp. L’ouvrage y fait abondamment référence et le site de l’Albert Einstein Institution est cité comme un des meilleurs sur la question.
CANVAS est financé, entre autres, par Freedom House, Georges Soros en personne et l’International Republican Institute qui compte dans son bureau nul autre que John McCain, le candidat à la présidentielle américaine de 2008.
D’ailleurs, ce dernier est longuement interviewé dans le documentaire de Manon Loizeau et son implication dans les révolutions colorées y est clairement établie. En outre, les auteurs de l’ouvrage (dont Drdja Popovic) remercient longuement « leur ami » Robert Helvey pour les avoir « initié au potentiel étonnant de la lutte stratégique non-violente ».
Robert Helvey est un ancien colonel de l’armée US, associé à l’Albert Einstein Institution via la CIA, spécialiste de l’action clandestine et doyen de l’École de formation des attachés militaires des ambassades américaines.

Le porte-parole du mouvement du 6 avril, Adel Mohamed, a affirmé, dans une entrevue accordée à la chaîne Al Jazira (diffusée le 9 février 2011), qu’il avait effectué un stage chez CANVAS durant l’été 2009, bien avant les émeutes de la place Tahrir.
Il se familiarisa avec les techniques d’organisation des foules et de comportement face à la violence policière. Par la suite, il forma à son tour des formateurs.


Documentaire de la chaîne Al Jazira

Ahmed Maher, le cofondateur du mouvement du 6 avril, a déclaré à un journaliste du Los Angeles Times « qu’il admirait la révolution Orange d’Ukraine et les Serbes qui ont renversé Slobodan Milosevic ».
Une autre similarité entre la révolution serbe et la révolte égyptienne est l’adoption du logo d’OTPOR par le mouvement du 6 avril, comme l’ont fait les autres révolutions colorées.

Jeunes égyptiens manifestant avec le logo « arabisé » d’OTPOR

D’autre part, le site web de ce mouvement contient une longue liste des comportements à adopter par les membres s’ils sont arrêtés par la police. Cette liste indicative extrêmement exhaustive n’est pas sans rappeler le guide de « La lutte non-violente en 50 points » de CANVAS. Parmi les activistes égyptiens, certains ont été sous les projecteurs durant les derniers jours du régime Moubarak. Parmi eux, Wael Ghonim est une figure marquante qui a été emprisonné pendant 12 jours et, après avoir été libéré, a accordé un entretien à la chaîne égyptienne Dream 2 où il raconte sa captivité et s’effondre en larmes avant de quitter le plateau. Cette performance audiovisuelle a fait de ce cyberdissident un héros malgré lui.

Interview de Wael Ghonim à la chaine Dream 2

Formé à l’université américaine du Caire (une coincidence ?) Wael Ghonim est égyptien vivant à Dubaï, travaillant comme chef du marketing chez Google (une autre coïncidence ?) pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et mariée à une américaine (une dernière coïncidence ?).
Wael est un activiste récent dans le mouvement du 6 avril, mais il a travaillé étroitement avec Ahmed Maher. Ce qui attire l’attention dans son intervention télévisée, c’est sa déclaration lorsqu’on lui a montré les images des jeunes tués pendant les manifestations : « Je veux dire à toute mère, tout père qui ont perdu un fils, je m’excuse, ce n’est pas de notre faute, je le jure, ce n’est pas de notre faute, c’est de la faute de toute personne qui était au pouvoir et s’y est accrochée ». Cette déclaration montre que le mouvement était très organisé et qu’aucun des membres n’avait prévu des pertes aussi grandes dans les rangs des manifestants, pour la plupart des jeunes qui ont été contactés via les réseaux sociaux.

Autre information surprenante : le PDG de Google s’est dit « très fier de ce que Wael Ghonim avait accompli », comme si faire la révolution faisait partie de la description des tâches d’un responsable du marketing d’une quelconque entreprise.
La révolte égyptienne, tout comme les révolutions colorées, a fait apparaitre des personnages « internationalement respectables » prêts à être la figure de proue d’un changement démocratique dans la vie politique du pays.
Le candidat de prédilection du mouvement du 6 avril est sans conteste Mohamed El Baradei, prix Nobel de la paix et ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le battage médiatique occidental autour de son « incontournable » candidature n’était finalement qu’un pétard mouillé.
Le peuple de la rue ne l’a pas plébiscité et il a vite disparu du paysage. Il est intéressant de noter qu’El Baradei était le candidat privilégié des États-Unis. En effet, l’ancien directeur de l’AIEA est membre de l’International Crisis Group et siège avec de nombreux membres dont Georges Soros (encore lui !). Le monde est vraiment petit, c’est le moins qu’on puisse dire.

Finalement, notons que la NED, surnommée « la nébuleuse de l’ingérence « démocratique » » par Thierry Meyssan a été créée par Ronald Reagan pour poursuivre les actions secrètes de la CIA.
Le rapport 2009 de cet organisme montre qu’il a attribué environ 1,5 millions de dollars à plus de 30 ONG égyptiennes « pour la croissance et le renforcement des institutions démocratiques à travers le monde » comme prétendu sur leur site.

L’utilisation des nouvelles technologies, si encensée par l’administration américaine, s’avère être un outil de choix pour la lutte non violente. Elle permet de contacter un nombre impressionnant de personnes en un temps record et d’échanger des données numériques et des informations de grande importance à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Les investissements massifs consentis par les institutions et le département d’état américains dans ce domaine se font dans le but d’améliorer les techniques de contournement de la censure étatique, de la géolocalisation des activistes lors de leur arrestation et l’envoi d’images et de vidéos pouvant montrer le visage « inhumain » des régimes autocratiques.
La récente annonce du réseau suédois Bambuser permettant de diffuser gratuitement, à partir d’un téléphone portable, des séquences vidéos en direct et leur stockage instantané en ligne en est un bon exemple.

Cependant, une fois dans la rue, les techniques de mobilisation de foules, de socialisation avec les représentants de l’ordre, de gestion logistique et de comportement en cas de violence ou d’utilisation d’armes de dispersion de foules nécessitent une formation adéquate et de longue haleine. Dans le cas de l’Égypte, cela a été rendu possible grâce à l’assimilation du savoir-faire de CANVAS et aux formations dispensées et financées par les différentes institutions américaines.
Il est clair que la révolte de la rue égyptienne n’est pas aussi spontanée que le prétendent les médias majeurs et leurs commentateurs. Cela n’enlève rien au remarquable engagement du peuple égyptien qui a suivi les leaders du mouvement du 6 avril et de sa noble abnégation pour se débarrasser d’un système corrompu afin d’accéder à une vie meilleure.
Mais espérons que l’historique révolte de la rue égyptienne et le lourd tribut qu’elle a payé pendant ces dernières semaines ne soient pas confisqués par des intérêts étrangers.
Le récent véto américain contre un projet de résolution condamnant la politique de colonisation israélienne est de mauvais augure. Le mouvement du 6 avril n’était-il pas sensible à la souffrance du peuple palestinien ?


Source : socialgerie

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